France

Se signer de croix ou se dire Bonjour

Version intgrale d'un entretien de Mgr Ireneusz Skubis avec Roman Wyborski, ancien consul de Pologne Lyon

Catholique pratiquant, un consul de Pologne en France aurait un aperu exhaustif de la vie pastorale locale, notamment dans la conurbation et la r gion lyonnaises. O en est-elle, l'Eglise de France?

Une amorce n cessaire de ma rponse pour lecteur francophone ne peut pas contourner le syntagme de "vie pastorale", significative de ce qui rend difficile tout discours sur ce th me. En Pologne, lac ou pr tre, on parle de vie pastorale ou paroissiale au quotidien, tout naturellement et simplement. Le partenariat franais fait aux la cs ou prtres rechercher rendre leur vie en religion plus sociale que pastorale, davantage spirituelle que paroissiale. Ainsi la rponse votre question est donne de l'ext rieur par un observateur privilgi qui tient faire valoir sinon ressusciter l' me de la fille an e de l'Eglise laquelle en 1980 Jean Paul II a pos , et depuis lors on se la pose, les fameuses questions "qu'es-tu devenue?", "qu'as-tu fait avec les promesses de ton baptme"... Or il nous/ leur semble entrevoir des pr misses de renouveau, ne serait-ce qu' travers de r centes nominations d'v ques dont l'archevque de Lyon, Mgr Philippe Barbarin, 52 ans, a fortiori primat des Gaules. Il y est retenir qu'en sept annnes, c'est bien le quatri me primat qui s'ensuit, aprs les trois d cs pr maturs de ses illustres pr dcesseurs, victimes de tumeur malin, au propre et au figur . En deux annes, le nouveau m tropolite ait dmontr l'intgrit du prlat papal pour faire attirer les traditionalistes de toute tinte et un p re Philippe modeste et ouvert pour de nombreux et parfois superficiels progressistes "sociaux". Il sait attirer les non-croyants et les croyants d'autres confessions. Sourire serein aux yeux de penseur avou et d vous, le catholique romain revient sur les lieux du martyre gallican. N'oublions surtout pas que le lyonais fut le sol des premiers martyrs, et que, dans le bottin administratif, un cinqui me de localits, pourtant communes r publicaines, porte le nom d'un saint ou d'une sainte, de Ste Vierge ou du Sauveur. Dans ce sol, y aurait-il encore, et quelle profondeur ?, de saines racines ne touch es que partiellement en deux sicles et huit g nrations intensivement indoctrin es par une habile et agressive minorit la que- rpublicaine.

Alors les Fran ais seraient indiffrents la religion?

Quant aux Franais, plut t rpublicains qu'indiffrents, un processus historique long terme s'achve en sa derni re tranche de population dite gn ration 68 de classes moyennes, professions librales et fonctionnaires confondus, derri re les soixante-huitards plutt anarchisants qui se croient r volutionnaires de la morale publique, chasseur du soi-disant fait religieux contre lequel ils avaient t maladivement hostiles. Du fait de cette hostilit, que j'ai quelques raisons de traiter d'hyst rique, ils ont laiss leur progniture du creux culturel et du vide moral, comme leurs ma tres d truire le firent la campagne et chez les ouvriers le long du XIXe et au d but du XXe sicles.

Suite cela, l'Eglise dans un tel pays se concentre, sinon ne se limite qu' l'action sociale portant de l'aide Autrui. Y a-t-il lieu pour du sacr?

Un ressortissant polonais, ayant particip sa messe dominicale en Pologne, f t-ce un degr minime d'engagement et de pit dans l'Eucharistie, peut y avoir un sentiment d'assister non plus une sainte messe mais une rencontre hebdomadaire o relativement profane reste la liturgie que l'on inaugure par un bonjour ou bonsoir et des fois sans m me se signer de croix par la suite, et o l'on ne se met jamais genou(x), mme le c lbrant la Transfiguration, etc. Des images de gnuflexion, de mains pieusement li es, d'hostie sur la bouche ne seraient que de rarissimes vestiges sinon dfis contre une norme non crite de neutralit religieusement correcte. Faute de telles manifestations, le d fi fut relev par des femmes musulmanes portant partout leurs habits traditionnels la manire de nos religieuses et des religieuses et religieux fran ais d'antan.

Le prtre fran ais, serait-il lui aussi lacis ?

Oui, forcment, commencer par son costume et son appellatif Monsieur ayant eu remplac le traditionnel P re. Une anecdote. Mon agent d'assurance lyonnais, un catholique traditionnel force de provenir de pieds-noirs, s'adressait Mon P re son client, prlat et professeur d'Universit catholique (et progressiste, de surcrot). Une fois, il l'a fait en pr sence d'un autre client. Visiblement touch, le Monseigneur lui a demand de ne plus lui donner de pre mais banalement de monsieur. Or, l'assureur lui a fait choisir entre continuer tre son client l'appelatif traditionaliste ou ne plus l' tre.
Par ailleurs, si vous suivez une mission d bat de tl , c'est seulement au moment de voir inscrit sur l'cran le nom de l'intervenant pr cd de P. (pour pre) que vous verrez repr sentant du sacerdoce. Le pire, c'est que vous ne l'avez point reconnu aux arguments, la parole, dirais-je autant profanes que chez d'autres interlocuteurs.
Les communaut s nouvelles, telles Taiz et Fr res gris de St Jean, se considrant divisions de Jean Paul II, s'activent en parall le ou mme contre le clerg et diocsain, souvent ouvertement antipapal.
Au sanctuaire du Sacr Coeur Paray le Monial, un lieu traditionnel du p lerinage de juin de Polonais des bassins industriels du Centre, en 2002, pour une premire fois depuis un demi-si cle, on a russi de sortir en procession avec le Saint-Sacrement aux quatre autels au centre ville dont le maire la c rpublicain a enfin donn son feu vert. Le seul s'y opposer aurait t le cur , d'ailleurs absent de la procession.
Les personnes et familles pieuses et nombreuses, changent d'glise et d' cole dite catholique pour leurs enfants la veine recherche du langage commun avec les pr tres et les enseignants. A Lyon, pourtant considr e traditionaliste, il y en a qui font navette deux cent kilomtres pour respirer d'une Eglise jeune, pauvre et fra che St Jodard de Fr res gris o le nombre de novices d passe celui de sminaristes de bien des dioc ses additionns. Ceci dit, parlant du presbyt re franais, le vrai et imminent drame arrive. Les statistiques d montrent les dparts la retraite d'une majorit de clerg , les septuagnaires actuels. Il restera une faible minorit peu alimente en jeunes s minaristes absents. Il s'ensuit un appel d'offre dans tous les azimuts, surtout vers une Afrique et une Asie francophones. Des prtres africains et asiatiques accompagneraient les Polonais fort appr cis des Fran ais pieux et auxquels on tmoigne de la confiance. Un dernier t moignage en est le geste de Mgr Barbarin d'avoir confi aux pr tres de la Mission polonaise une jeune paroisse dynamique de Ste Trinit dont le cur , il l'a fait nommer son v que auxiliaire.

Alors une traditionnelle attitude de pit polonaise serait-elle perue ce point positivement?

Oui et non. On est dans un univers physique deux p les. Au ngatif, vous tes chez des dominicains qui, sur l'Agora apparemment franchement ouverte, m'aient laiss comprendre d'avoir opt pour ne pas trop frquenter leurs confr res polonais, encore moins d'en avoir chez eux... Au positif, il y revient le personnage du primat des Gaules qui, jeune p. Philippe, avait trois fois refait le plerinage pied Czestochowa, Lourdes polonaise raison de presque trois cent kilomtres en une dizaine de jours (!), deux fois de Varsovie et une fois de Cracovie, juste moiti du premier parcours. Lui tient compagnie l'actuel recteur de l'archicathdrale St Georges qui, aum nier diocsain des jeunes, avec ceux-ci a march deux fois...Et il ne s'agit pas de prtendu faible fran ais aux randonnes, tant vant - et dcouvert- r cemment dans les mdia! L'archev que voue un culte manifeste la Madone Noire. Dans sa cath drale, pour sa messe hebdomadaire de vendredi soir (extraordinaire en soi puisque, une heure avant, il y accueille quiconque veuille le voir la porte d'entr e, se promenant tout simplement de l'un l'autre, et juste apr s la messe, il se fait inviter dans une famille au dner...), il fait sortir d'une chapelle lat rale de son cadre habituel l'icne de Czestochowa, offerte par l'archicath drale de Poznan, pour l'exposer c t du ma tre-autel, y concl brer la messe et la terminer avec un Anglus face l'image si chre aux Polonais.

Y a t-il des pr misses pour une typique pastorale polonaise?

Un exemple. L'glise dite polonaise (jusqu' 2003 loue chez les j suites dans le vieux Lyon), tait (est-elle ?) archiplaine une fois de l'ann e, le Samedi Saint dans la matine, pour se faire b nir le sacro-saint panier de Pques mais le m me jour au soir absolument vide pour la messe de rsurrection, idem pour la messe du Jeudi Saint. Il y a d'avantage une coutume qu'une pi t bien connue dans le pays. Dans les paroisses dites m talo- minires d'autrefois (dont les glises avec toute colonie d'habitation pour la main d'oeuvre polonaise furent construites, suite la convention-cadre, des autorit s franaises) une troisi me gn ration de l'immigration des annes trente du XXe se comporte la franaise (sans s'agenouiiller, p.ex.) durant leur messe dominicale en un polonais encore vivant. La vie de certaines paroisses refl te la personnalit du cur de plus de vingt an qui en est l'histoire vivante. C'est bien le cas de Monceau-les Mines et surtout de Saint Etienne ou, rue des Chaux dans le Marais, il y a un vrai et vif ilt de polonit catholique.

Est-ce donc une prsence positive de Polonais qui rend favorable l'image de la Pologne comme telle, maintenant dans le cadre de l'Union Europ enne? A Varsovie, il y aurait plutt une image des Fran ais devenus le plus difficiles interlocuteurs europens...

Moi-m me je n'ai eu que des ractions de joie naturelle qu'on soit enfin ensemble. Chez les uns, nombreux, il y a une sympathie dont jouit la Pologne ternelle et les Polonais de leur connaissance au quartier, au boulot, l' cole, aux loisirs, etc. Chez d'autres, nombreux eux- aussi, il y a une mfiance qui s'enferme dans des st rotypes l'coute de m dia. Difficiles interlocuteurs, ils le seraient pour cause. Entran s raisonner et discourir depuis le lyc e. Retenez que ne serait-ce que grce aux cours de philosophie en terminale, raison de quatre sept heures par semaine, tout parent parlant avec son enfant bachelier, chaque semaine se rend bien compte, ravi, de ses capacits croissantes et de sa modestie plus que relative. Il s'ensuit aussi une d terminante prsence de la r alit.
En g nral, il y a un abyme quant la perception d'une histoire et la mmoire d'un patrimoine communes europ ennes. Des deux nations censes d' tre chauvines, un jeune Franais a bien moins appris sur les faits extra- fran ais que son homologue polonais. Pour ne chercher loin, au centenaire du Nobel pour la premire femme, Maria Sklodowska, pouse Curie, la plus cl bre Polonaise n'est parfois que Mme Pierre Curie, cdant ainsi la place de vedette st rotyp e une certaine Mme Walewska, de trop rares polonais rappelaient publiquement son nom de famille pourtant universel sur le document unique d'identit franais actuel.

Revenons la rvolution culturelle 1968 dont la g nration ait acc d aux pouvoirs clefs dans les ann es 90. Comme vous venez de le souligner, ils sont en tte de r actions hostiles la religion, l'Eglise et, en consquence, toute mention explicite d'identit chr tienne et divine dans le prambule de la Constitution europ enne. Y aurait-il un contre-courant qui signifierait des prmisses positives pour nous autres, chr tiens europens.

Une allergie sinon parfois une hyst rie autour de la mention de Dieu ne sont que patrimoine spirituel de plus d'un sicle allant des Lumi res d'une rvolution plus que sanglante 1789 la loi 1905 qui consacrait la sparation de l'Eglise et de l'Etat. Au centenaire de la loi fondamentale pour une r publique laque, les quatre g nrations concern es auront constat une ignorance quasi totale de concepts, de symboles, d'attitudes et de comportements religieux et une inaptitude subjective d' accepter comme objective une r alit plus qu' vidente. Le Polonais conscient d'effets nfastes d'une ath isation le temps de deux gn rations, observe stupfait dans les attitudes et r flexions de Franais, notamment ceux de la gn ration 68, une espce de bolch visation idologique pure et simple contre laquelle lui, il avait r ussi de s'tre d fendu. Il y en a qui se sont enfin aperus que les quatre g nrations furent amput es d'une identit et d'un patrimoine spirituel puisque avoir balay du lexique publique et surtout de l'cole toute r frence au "fait religieux" dont Dieu comme tel a rendu les jeunes Franais inaptes se faire entendre des homologues europens d'aujourd'hui. Ainsi "le fait religieux" rentrerait bient t l' cole, par une porte latrale et oblique...
Le ph nomne le plus efficace qui a d clench un tel changement et une r organisation de l'espace publique c'est bien l'islam francophone, estim cinq millions de musulmans. On les craint puisqu'on observe en eux et entre eux une cohsion personnelle et tribale qui rendrait toute naturelle identit religieuse, famille nombreuse, autorit parentale, hi rarchie de personnes et de valeurs.
Or le fondement de leur crainte provient de leur fort intrieur o on se sent dsarm s, privs d'immunologie sociale, abandonn s dans une socit d'go stes devenant parfois partenaires. Ce sentiment concerne d'autant plus les jeunes. La France adulte, de par les pouvoirs d'lus, de droite ou de gauche confondue, par voie d mocratique, mais un absent isme croissant, n'a plus rien de sincre ni convaincant leur proposer qui soit une relle alternative de vie de famille et de soci t autre que l'actuelle soumission de l'argent, aux biens accumuls, de la carrire personnelle, enfin au para tre mdiatis et accompagn de menus gadgets la plus-value spculative. Le discours public est bien marqu par les prsidentielles de 2002 et surtout par l'effondrement de la gauche, par l' largissement de l'Union Europenne, la perc e et le foulard de femme musulmanes, une domination mondiale des technologies et de valeurs issues de religion amricaines incarn es par les Bush, a bien dmontr quel point le roi ait t nu, la sacro-sainte r publique laque sans contenu ni identit propres. Les premiers sonner alerte furent les p dagogues privs de tout outil d' ducation efficace. L'enseignement laque post-68-ard mettant en cause toute autorit a fait renvoyer les jeunes probl mes chez des psycho- (-analytiques, -logues, -thrapeutes, etc. ) devenus ma tres et directeurs de conscience qui, les premiers, doutent vers o diriger leurs clients et eux-m mes. Parfois, souvent, il est trop tard pour donner ces jeunes en qu te du normal ce qui serait le plus simple: maison, maman, papa (ajoutons de vrais et naturels, pas "recomposs"), et un sacrement de r conciliation. Mais tout cela, c'est un sujet part.

Il serait souhaitable de se rappeler la rencontre parisienne des jeunes avec leur pape. Le clerg , les lites, ne l'ont -ils pas ressentie comme d clenchement ncessaire du renouveau de valeurs traditionnelles ?

H las, peu d'indices tmoigneraient d'une continuit . Il semble que les v nements, uniques en soi, ne sont forcement pas productifs d'une suite publique et cohrente. En effet pour bien des participants, le JMJ Paris fut une immense motion d'avoir pris part quelque chose d'unique, une explosion inoue de joie spontan e et enthousiaste, en un mot qui n'adviendra plus de la vie. Pour d'autres, peu nombreux, c'tait un important moment dans le cadre de leur formation la longue, telle communaut de Taiz .

Il y aurait un moyen de contribuer faire renforcer l'identit catholique de Franais?

En tout lieu y rester soi-m me, surtout en public. Si vous vous agenouillez l' glise, seul, toujours, les frres catholiques debout autour se poseraient enfin une question quant au bien fond d'une relation personnelle au sacr, au divin. Si vous tes, en tant que Madame et consul de Pologne, les seuls s'agenouiller une messe polonaise, la rponse cette question serait encore plus pertinente. Au tmoignage du comportement vous associez le t moignage de la parole. Tout camouflage socio-anglique propre quelques gn rations de l'Eglise de France a rendu plus que manifeste sinon dangereuse une parole publique juste qui ne soit traite de fondamentaliste, int griste etc. A continuer une telle attitude serait reconfirmer une incapacit de catholiques europ ens, et de surcrot fran ais, de cogrer les enjeux strat giques d'identit et de formation d'un continent sinon d'une civilisation.

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